A la fin du XIXème siècle, la ‘Hazzanout ashkénaze voit naître quatre de ces plus éminents représentants, ceux que l’histoire retiendra: Moshe Koussevitzky, Yossele Rosenblatt, Gerson Sirota, et Zawel Kwartin. A eux seuls ils représentent l’âge d’or de l’art cantoral.
Avant d’évoquer ceux qui ont marqué l’histoire de la ‘Hazzanout, rappelons que le rôle du ‘Hazzan en français « le ministre officiant » consiste non seulement à accompagner les fidèles dans la prière, en chantant les psaumes et en psalmodiant les textes, mais aussi de les représenter devant Dieu. C’est dire l’importance de ses qualités vocales et spirituelles.
Gershon Sirota, naît en 1874, dans une famille orthodoxe de la province de Podole. C’est auprès de son père qu’ il apprend à conduire l’office. Quand sa famille s’installe à Odessa, c’est naturellement au sein de la chorale de la synagogue qu’il continue de chanter. Rapidement, il s’y fait remarquer; le chef de choeur Yakovkin lui conseille d’ailleurs d’étudier la musique au conservatoire d’Odessa. Admis, il obtient même une bourse. Après avoir été l’assistant du Cantor Jankiel Seroka, il devient ‘Hazzan à la synagogue Prikashtchikes.
En 1886 il est nommé cantor de la synagogue de Vilnius. A partir de cette date il commence à donner des concerts de musique juive avec un grand chœur, dirigé par Leo Loev C’est le début d’une longue collaboration entre les deux hommes.
En 1902 il chante lors d’une réception en l’honneur de Théodore Herzl. En 1903, il se produit devant le tsar Nicolas II.
En 1908, il émigre à Varsovie où il accepte le poste de chantre à la grande synagogue. Léo Loev l’y rejoint. A partir de 1912, ils entreprennent ensemble une série de concert aux Etats-Unis dont un, au Carnegie Hall ( concert à guichet fermé).Où qu’il soit, sa voix de ténor dramatique attire les auditeurs. Mais ses déplacements fréquents à l’étranger déplaisent aux responsables de la synagogue de Varsovie. Ils ont besoin d’un cantor à plein temps. Quand il revient en 1927 d’une tournée à New York il constate qu’ il a été remplacé par le jeune Moshe Kusevitsky.
Comme beaucoup d’autres ‘Hazzan , celui que l’on nomme le caruso juif improvise. Par contre il n’a pas composé de pièces originales. Ce que certains appelaient le » Sirota Retze » est de Schlossberg .
Réputé également pour sa générosité, il n’est pas rare de le voir officier lors d’un mariage d’une famille pauvre, sans être rémunéré.
En dehors de ses enregistrements phonographiques il chantera dans les films Sabra (1933), réalisé par Aleksander Ford, et Dybuk (1937), réalisé par Michał Waszynski.
En 1935, il devient ‘Hazzan de la synagogue Nozyk de Varsovie qui lui permet de continuer de voyager fréquemment. Juifs et chrétiens assistent à ses concerts ( dont Caruso lui-même. Quand la seconde guerre éclate, il est à Varsovie. Bien que les Allemands lui proposent de quitter le ghetto , au vu de sa renommée mondiale, Sirota refuse. Abandonner ses enfants est impensable. Jusqu’au bout il continuera de donner de concerts de musique liturgique dans la Grande Synagogue.
Il meurt ainsi que les membres de sa famille pendant le soulèvement du ghetto en 1943, brûlés vifs dans un bunker de la rue Wołyńska.
- Yossele Rosenblatt, naît le 9 mai 1882 en Ukraine dans le shtetel de Bila Tserkva en Ukraine . Il est le premier garçon dans une famille qui se compose de 9 filles. Issu d’une longue lignée de ‘hazzanim, il commence sa carrière en tant que membre de la chorale de la synagogue locale .Rapidement salué comme un « enfant prodige », il déménage avec sa famille à l’âge de 7ans à Sadigora, Bucovine (Autriche).
Marié à 18 ans, il accepte son premier poste de ‘Hazzan en Hongrie permanent dans Munkacz, en Hongrie.
Son talent s’y sent rapidement à l’étroit. Quand une place se libère dans la ville de Pressburg ( alors hongroise) aujourd’hui Bratislava, il décide de passer l’audition au coté de 56 autres candidats.
Connu pour sa technique extraordinaire, pour sa grande tessiture, pour la douceur de son timbre et pour sa capacité unique de transition de la voix normale à la voix de fausset et l’utilisation de plusieurs techniques reprises ensuite par les chantres du monde entier, (sanglot) il a le don d’émouvoir et de subjuguer les fidèles qui l’écoutent. Yossele Rosenblatt est aussi un compositeur prolifique. Durant les 5 années qui vont suivre, il écrit et fait éditer 150 récitatifs et pièces chorales. Plus de cent quatre-vingts pièces ont été conservées.
En 1905 il enregistre son premier disque à Vienne pour la société Edison.
Sa renommée grandit et s’étend sur toute l’Europe. Il accepte ensuite un poste à Hambourg. Bien que la ville soit le berceau de la réforme libérale, la communauté orthodoxe conserve une place importante. C’est durant cette période qu’il affine ses connaissances musicales classiques. Il se nourrit d’opéra et de lieder de Schubert .
En 1909, lors du congrès sioniste mondial, des représentants et délégués américains entendent sa voix. L’éloge qu’ils en rapportent ainsi que l’exportation de ces disques conforte sa renommée outre atlantique .
En 1911, le ‘Hazzan de la Première Congrégation hongroise Ohab Zedek, l’une des principales synagogues de New York démissionne. Rosenbllat est alors invité pour deux Chabbat. Ses frais de voyage sont payés et on lui garantit une rétribution substantielle. Le succès de Rosenblatt à Ohab Zedek, qui se trouve alors à Harlem et plus tard, dans l’Upper West Side de Manhattan, est immédiat, si bien qu’il télégraphie à sa femme de le rejoindre avec leurs enfants. Du jour au lendemain il fait sensation. Les foules se pressent devant la synagogue pour l’entendre.
Sa voix rassemble les juifs quel que soient leurs positions sociales. A travers sa ‘hazzanout, c’est tout son amour pour son peuple, sa culture et sa religion qui s’exprime. Ses supplications élèvent les âmes. Sa ferveur enthousiasme les cœurs. Il incorpore aussi bien des récitatifs dans le style des opéra italiens que des bribes de mélodies folkloriques et de grandes sections de chant improvisé. Ces compositions regorgent de leitmotiv récurrent, issu de la tradition hassidique.
En 1923 il fait sa première tournée britannique (concert au Albert Hall ) puis en Europe. Bien que Rosenblatt reçoive d’énormes cachets pour ses concerts et réalise des bénéfices grâce à la vente de ses disques, il est souvent endetté, tant il contribue à verser une grande partie de ses gains aux œuvres de charité. Sa générosité le poussera même à investir dans un journal yiddish. Suite à cet engagement il fera faillite en 1925.
En Août 1927, il quitte son poste à la congrégation Ohab Zedek. Pendant les mois qui suivent, il voyage à travers les États-Unis, dans des villes comme Minneapolis, Seattle, Indianapolis, Columbus, Milwaukee, Philadelphie et Washington DC, où il rencontre le président d’alors Calvin Coolidge.
En 1928, il signe un contrat de 10 ans avec la Première Congrégation Anshe Sfard, situé à Borough Park, à Brooklyn.
La renommée de Rosenblatt ne se limite pas au monde juif. En 1929 il accepte de participer au film le Chanteur de Jazz, avec Al Jolson, qui raconte l’histoire du fils d’un chantre qui se tourne vers la musique profane.
Campanini, le directeur général de l’Opéra de Chicago, et Toscanini font appel à lui pour chanter le rôle de premier plan d’Eléazar dans la Juive de Fromental Halévy . Campanini lui offre 1000$ par représentation. Bien que la production lui assure que toutes les prescriptions religieuses seront respectées, (que ce soit l’annulation de spectacles Shabbat et jours de fêtes, nourriture cacher etc..).Rosenblatt déclinera la proposition, soulevant l’indignation, l’incompréhension et la colère des journalistes de l’époque. Yosselé pense que sa voix est un don de Dieu et ne peut être utilisée en dehors du service de Dieu.
En 1933, il se rend en Palestine. Il y donne 25 concerts ; Nahum Nardi l’accompagne au piano et participe au tournage du film yiddish, The Dream of My People.
L’interprétation de Yosselé des Téhilim 126, U’vnucho Yomar. a été si populaire que les dirigeants israéliens l’ ont envisagé comme hymne national en 1948, avant d’adopter HaTikva.
Frappé par une crise cardiaque à l’âge de cinquante et un ans, il est enterré au mont des Oliviers par le Grand rabbin Abraham Isaac Kook, en présence de quelque cinq mille personnes en deuil.et des Cantors Hershman et Kwartin.
Quelques jours plus tard à New York, aura lieu un service commémoratif au Carnegie Hall. qui rassemblera de nombreux et talentueux Cantors ainsi qu’un chœur de plus de deux cents voix. pour chanter sa musique et les ‘E l Malei Rachamim.
A ce jour il demeure une source d’ inspiration pour les chantres du monde entier .Plus de 180 pièces de l’œuvre de Yosselé Rosenblatt ont été préservées, y compris Hasheim Malakh, V’af Hu Hoyo Miskaven et Mi Shebeirakh.
Moshe Koussevitsky nait en 1899 dans une famille de ‘hazzans en Biélorussie. Sa voie est presque déjà tracée. Il commence par chanter dans les chœurs de la synagogue. En 1914, sa famille rejoint la Russie, puis plus tard en Pologne à Vilna. En 1924, il obtient le poste de ‘Hazzan à la synagogue Tlomacki de Varsovie. Il succède au célèbre grand Cantor Gerson Sirota (1927/ 1928).
Dans les années 1930, il donne des tournées de concerts à Vienne, Bruxelles, Anvers, Londres et en Palestine. Lors d’ un concert à la grande Synagogue de Varsovie il chante en hébreu le rôle de ténor. dans La Création de Haydn ; son frère David chanté la partie de Gabriel écrite pour soprano.
Invité partout en Europe et en Palestine entre 1935 et 1939. Il doit sa survie durant la guerre à la résistance polonaise. Il émigre en Russie où il retrouve sa famille. Fuyant la guerre il parcourt le pays. De 1944 à 1946 sous le prénom de Michael il est le principal ténor de l’opéra national de Tbilissi en Géorgie dans des productions telles que Boris Godounov, Rigoletto, et la Tosca.
Après la guerre, il donne un concert en Pologne devant les ambassadeurs britannique et américain, qui intercéderont afin qu’il obtienne des visas pour les deux pays. C’est d’ailleurs à Londres qu’il choisit d’abord de se rendre car il y retrouve son frère David qui est cantor à la Hendon Synagogue depuis le début de la guerre.
En 1946 avec ses trois frères, (tous chantres de talent), il donne un concert d’adieu à Londres au Royal Albert Hall avant de gagner les New York où il reçoit un poste à Temple Beth El à Brooklyn.
Un an plus tard les critiques du New York Times le plébiscitent après ses débuts au Carnegie Hall. Il est qualifié comme » une des voix les plus remarquables de l’époque »‘. Il se produit ensuite en Amérique, puis en Afrique du Sud et Israël, où il gagne aussi une large reconnaissance.
En 1955, il réapparaît au Royal Albert Hall de Londres dans un concert.
A sa mort, Koussevitzky était encore le hazzan du Temple Beth El de Borough Park à Brooklyn, l’une des plus prestigieuses chaires orthodoxes de New York . Nombreux sont ses enregistrements,
Zawel Kwartin ( 1874/ 1952)
A la différence des autres cantors qui sont majoritairement tous ténors, et souvent issus de famille de ‘hazzanim, Zawel Kwartin est baryton et son père est un marchand de textile. Il naît le 25 mars 1874 près de Elisatgrad ( kirovahrad) en Ukraine. Devant les qualité vocales de son fils, son père décide pourtant de le présenter devant le célèbre Hazzan Yeroucham Hakatan. Après l’avoir écouté le ‘Hazzan vieillissant propose de former le jeune homme. On pourrait s’attendre que son père accpete, or celui-ci décline la proposition ; il juge préférable que son fils poursuive une carrière dans le textile, qu’il juge plus sûre.
Avant son mariage Kwartin se rend avec ses beaux-parents à la synagogue de Yelisvatgrad. La forte impression qu’il laisse après sa lecture de la Haftara, puis lorsqu’il mène l’office de Moussaf, l’incite à apprendre la musique, prendre des cours de chant et étudier la ‘Hazzanout de Sulzer. ( Vienne) En 1896 . il donne son premier concert public. C’est le début de sa carrière. L’année suivante il en donnera un à Lodz,. Commence alors une série de concerts à travers l’Europe couronnées de succès .
En 1903, il concourt pour le poste de la synagogue nouvellement construite dans le quartier juif .de Vienne Sur 63 candidatures, le jury retient la sienne Son salaire est de 2500 couronnes par an, ce qui est considérable pour le poste.
En 1909, il déménage pour Saint-Pétersbourg, où il devient premier cantor de la Grande Synagogue. avant d’accepter un poste à la Grande synagogue de Budapest où il restera 10 ans.
Depuis 1914 Kwartin est invité à se produire pour une série de 30 concerts aux Etats Unis, mais en raison de la guerre , il ne s’y rendra qu’en 1920 .
Bien qu’il n’ait pas reçu un grand accueil lors de son premier concert à la Metropolitan Opera, il emporte un vif succès au théâtre de l’Hippodrome . Par la suite il parcourt l’Amérique et obtient l’adhésion du public, si bien qu’il décide de rester aux États-unis. Nommé ‘Hazzan au Temple Emanuel il obtient un salaire de 12.000 $ ce qui le place le ‘Hazzan le mieux payé de tous les temps.
En 1928 Kwartin publie deux volumes de son ouvrage (en trois volume)s, ‘Z’mirot Zevulon’ Le troisième sera publié en 1937. S’y trouve la plupart de ses célèbres morceaux, dont ‘Tiheir Rabbi Yishmoel, Ve’al Yedei Avodecho, etc. qui aujourd’hui encore sont toujours chanté.
Sa première visite en 1926 en Terre Sainte l’émeut au point qu’il décide d’y faire construire une maison sur le mont Carmel. Il donne une série de concerts à travers le pays avant de retourner l’année suivante aux Etats-Unis et accepter un poste à Newark dans le New Jersey .Il y passera les quinze dernières années de sa vie. Il meurt le 3 Octobre 1952 et sera enterré en Israël .